Ses escarpins Gucci étaient poussiéreux, souillés par la terre et le sable de ces landes arides. La communauté de l’Ouest ne l’avait pas accueillie, elle l’avait investie. De ses pupilles reptiliennes, glacées d’effroi comme de haine, elle avait toisé les maisons, les immeubles, les ruelles : les ruines. De sa langue sifflante et claquante, elle avait dicté ses volontés, divines et irrésistibles. De ses courbes graciles, à la blancheur de l’antilope, elle avait dompté les maîtres des lieux. Elle était la tumeur de l’Ouest, et nul n’osait la chasser. Nul n’oserait jamais, sans doute. Elle fit un pas, puis un autre, jeta un regard au dehors. Le duplex était vaste, mais vide. Dénué de décorations, austère. C’était sans doute déjà bien, voir formidable, compte tenu du contexte, mais cela ne la satisfaisait pas. Être la poupée d’un dirigeant ne la comblait pas. Rien n’avait plus de sens. Il l’enfermait en haut de sa tour, et elle n’aurait pourtant pas osé mettre un pied au dehors. Mais tout lui semblait fou, stupide, irréel. Les soldats qui étaient venus la chercher, son argent qui avait jusqu’alors tout acheté et qui là s’était avéré impuissant. Leur discours, le fait que ses idéaux soient inappropriés. Elle n’avait jamais été pour le mur, mais jamais contre non plus. Cela lui semblait fantasmagorique. Et puis là n’était pas le problème. Le Nord s’était inventé une morale, pudibonde qui plus est. Et être l’actrice porno la plus célèbre des États-Unis n’était plus une place de choix. Et elle avait atterrie là, dans l’incompréhension la plus totale, sentiment d’ordre général en cette heure. Mais sa beauté l’avait vite séparée du reste. Lorsque les communautés s’étaient formées, elle en avait rejointe une, au bonheur la chance, et c’est lorsque les leaders s’étaient imposés qu’elle était entrée en action. Il lui avait fallu en trouver un violent mais pas trop stupide, un qui saurait rester au pouvoir. Et son charme presque naturel avait fait le reste.

Elle battit des cils et souffla, avant de tirer une autre taffe. Ce tabac était bon, et c’était sans doute l’une des rares choses qu’ils avaient gagnés à être écartés de la civilisation. Des terres bien moins polluées, des récoltes naturelles, un traitement transparent. Ses yeux fatigués se posèrent sur la silhouette avachie d’un passant. Il était harassé, il avait l’air hagard et sans doute en avait-il bavé. Comme tous les autres. Les façades des bâtiments étaient blanches et sales, détruites par endroit, souvent criblées de balles, parfois calcinées. Elle s’éloigna de la fenêtre et ouvrit une bouteille d’alcool. Il n’y avait pas d’étiquette, et ne différenciait plus les goûts. Seule la saveur de l’alcool, universelle, la touchait. Elle n’était sensible qu’au mal qui la rongeait. Le gros poisson face à un poisson plus gros encore. Ce qu’elle pouvait se sentir stupide. Ce qu’elle pouvait être laide.