« Je m'appelle Domino Hannigan. J'ai vingt-quatre ans. Pour la survie de notre monde, j'ai été lâchement envoyée dans le sud. Pour ma propre survie, je devrai faire bien pire (..) »El Paso - Texas (domino, sept ans).
Affalée sur une chaise pour enfant, coloriant - tout en débordant - une feuille blanche, Domino Hannigan attendait patiemment que son tour arrive. L'endroit - sinistre, tout de blanc vêtu, avait le don de gêner la petite et seule une occupation distrayante arrivait à lui faire oublier cette avalanche de problèmes. Malgré son jeune âge, Domino avait conscience que quelque chose clochait chez elle. Des examens exécutés plus tôt dans la semaine allait lui confirmer ce que déjà, elle savait : sa maladie. Sans nuls doutes, la même que sa mère, la chorée de huntington.
« Mademoiselle Hannigan ? » Elle releva la tête vers sa mère, attendant une réaction de sa part. Celle-ci lui fit un signe et la jeune fille lâcha ses crayons pour la suivre, elle et le médecin. Ils entrèrent dans une petite pièce assez peu éclairée, légèrement en fouillis, vu le nombre de papiers traînant sur le bureau. Sa maman savait pertinemment que d'ici deux minutes, l'innocence et la vie de cette enfant ce serait envolé. Par sa faute. De quoi totalement la déstabiliser face à cette blouse blanche. Domino se voulait forte, être une grande fille, pour elle et pour sa maman.
« Nous avons eu vos résultats ce matin. » commença-t-il en agitant l'enveloppe.
« Ils sont positifs. » Le monde venait de se briser. Madame Hannigan se mit à pleurer à chaudes larmes.
« Vous savez.. On ne sait pas vraiment quand ça va arriver.. Vous.. vous pouvez avoir une aide psychologique.. » L'avenir de sa fille s'achevait ainsi. D'ici vingt, trente, quarante ans.. ? Cette adorable jeune fille développerait les premiers signes d'une maladie dont la seule issue était la mort. Grande, majestueuse. Domino, elle, haussa les épaules sans réellement savoir ce qu'on lui voulait, sachant juste qu'elle était malade et s'en était bien assez pour une petite fille de sept ans. Trop même.
« Je m'appelle Domino Hannigan. J'ai vingt-quatre ans. Ma vie a toujours tourné autour de ma maladie. Ma mère s'en voulait de l'avoir transmise à sa seule fille. On appelle cela, les aléas du quotidien et malheureusement, on ne peut rien faire contre. J'ai grandi en me sentant différente. J'ai toujours été différente. »D'El Paso à Tijuana (domino, vingt-trois ans).
Chère mademoiselle Hannigan, nous avons le regret de vous annoncer que vous ne faites pas partie des personnes ayant obtenus un passeport pour le Nord. Après étude de votre dossier, il est clair que vous entrez dans la catégorie une et que n'avez aucunement votre place dans le Nord. Il vous faudra en ce 22/12, rejoindre la communauté du Sud et ce, sans possibilité de retour.
Veuillez agréer, Mademoiselle, l'expression de nos sentiments distingués.
« C'est sa faute ! C'est sa put**n de faute ! » Un vieux vase en porcelaine vint s'écraser sur le sol dans un fracas terrible sous les yeux choqués de monsieur Hannigan. Observant sa fille d'un mauvais oeil, il ne fit rien et n'osa même pas lui faire un commentaire sur son mauvais comportement et ces paroles amers. Pour faire simple, voilà plusieurs mois qu'il n'avait plus le contrôle sur elle. Chacune de ces paroles ne faisait que passer dans la tête de la jeune femme pour ressortir aussitôt. Inutile donc d'essayer quoi que ce soit, rester calme était sa seule tactique ayant un minimum de succès.
« Domino, arrêtes, calme toi. » Mais elle n'en fit rien. Énervée, sur le point de craquer - bien plus qu'en détruisant un simple vase, elle saisit la lettre à son nom et vint la déchirer, passant ses nerfs sur ce bout de papier. Ceci n'eut aucun effet sur elle, elle n'était pas calmé. Passant une main sur son visage, elle prit cette fois-ci - encore, depuis quelque temps, en grippe la personne responsable de tout ce bordel :
« C'est qu'une c***e ! Qu'elle pourrisse en enfer ! » Sa mère. Si petite Domino ne lui avait jamais reproché sa maladie, aujourd'hui elle la blâmait de tous ces maux. En effet, la construction du mur allait envoyer la jeune femme directement dans le Sud. Il lui fallait un coupable, sa défunte mère portait à merveille le chapeau.
« Je la déteste ! Je te déteste aussi ! Pourquoi vous avez fait un gosse dans ce cas-là ? Vous êtes inhumains ! » Ces accusations furent sans doutes de trop car monsieur Hannigan vint s'énerver à son tour. Qu'on lui en veuille à lui, certes, qu'on s'attaque à sa femme, morte, ça jamais.
« Tu ne sais pas de quoi tu parles ! Tu n'es qu'une enfant gâtée ! Tu crois sincèrement qu'on savait ce qui allait se passer ? Pour toi ou pour le mur ? Arrêtes Domino, arrêtes ! » Il réagissait comme s'il se fichait de sa fille, comme si sa descente au Sud ne le touchait pas. Lui qui vivrait au Nord, bien gentiment.
« Évidemment. Laisse moi donc crever dans mon Sud pendant que tu te chaufferas le c*l au Nord. » continua-t-elle, dégoutée par la situation.
« Heureusement qu'elle est morte, manquerait plus que j'me la tape là en bas. » La rancune d'une fille pour sa mère était tenace. La maladie l'avait vaincu il y a un an, Domino, elle, devrait désormais survivre contre la chorée de Huntington et le cruel monde ou elle serait envoyée.
« Je m'appelle Domino Hannigan. J'ai vingt-quatre ans. Ma mère m'a envoyé dans le Sud. »Tijuana (domino, vingt-quatre ans).
La vie dans le Sud est impitoyable. Le mot est mal choisi, survie serait plus exact. Ici tuer ou être tué est le maitre mot. Domino l'avait compris dès son arrivée. En suivant un petit groupe dans la ville, elle avait rejoint la communauté de l'Est pour ne plus jamais la quitter. Contrairement à ce que l'on pouvait imaginer, sa vie d'avant ne lui manquait pas, ou uniquement le confort qu'elle avait. La raucune qu'elle détenait envers ses parents avait le pas sur toutes ses pensées et ses actions. Tout était plus compliqué ici.
Foulant le sol poussiéreux d'un pas rapide, Domino sillonnait les cultures privées, signe d'une richesse céréalière de sa communauté, à la recherche de nourriture. A sa ceinture, un vieux colt se baladait. Dans sa chaussette gauche, une couteau mal aiguisé. C'était là le minimum pour se sentir à l'aise et assurer sa survie en cas de gros problèmes. Et comme par le plus grand des hasards, elle avait le don pour tous les attirer. Un jeune homme d'une vingtaine d'année se tenait debout à environ vingt mètres devant elle, un sourire narquois dessiné sur ces lèvres. Il n'y avait qu'à l'observer pour comprendre qu'il se voyait déjà plus malin qu'elle.
« Alors ma jolie, on se balade ? » Mais habituée par ce genre d'énergumène, Domino traca sa route sans lui porter aucune attention. Elle ignorait s'il était membre de sa communauté et peu importait en réalité, le danger venait de partout. Sa réaction ne sembla pas lui plaire puisqu'il se mit à la suivre.
« Fais pas ta coincée. » Son ton, toujours détaché, se voulait légèrement plus sec mais n'eut toujours aucun effet sur la jeune femme.
« Je te parle brunasse ! » Domino se retourna dans un mouvement vif vers l'inconnu qui s'arrêta aussitôt, heureux d'avoir fait mouche sur elle. Tout en s'avançant lentement vers lui, elle déposa sa main droite sur son Colt sans se cacher ou essayer de dissimuler quoi que ce soit. Finalement elle s'arrêta à son niveau et adopta le même sourire que lui.
« T'as un truc à manger ? » le questionna-t-elle.
« Pour toi j'ai tout ce que tu veux ma jolie.. » lâcha-t-il en sortant de sa poche un petit paquet transparent, l'agitant sous le nez de la brune. Celle-ci souhaita le saisir mais il l'en éloigna. Mauvaise idée. Quémander n'était pas une de ses habitudes, êtres gentille et adorable envers les inconnus encore moi. De ce fait, elle saisit son Colt et la crosse de ce dernier vint s'écraser en plein sur le visage de ce jeune homme qui s'écrasa au sol, le nez en sang. Visiblement, il ne s'attendait pas à se prendre un tel coup d'une fille. Justement, en tant que telle, autant utiliser les armes à sa portée, vu son petit gabarit, elle n'aurait rien obtenu autrement. Le paquet de nourriture avait achevé sa course sur le sol. Domino le saisit avant de lui répondre une dernière fois :
« Merci. » Et d'un pas aussi rapide que lorsqu'elle était arrivée, elle s'en alla, évitant ainsi toutes représailles de sa part. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle ne le croise plus jamais. A Tijuana, rester en vie tient parfois du miracle.